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Washington d'ici
5 juin 2005

Slovaquie et Sierra Leone

    C’était un vendredi soir dans le Maryland. Il ne faisait pas vraiment beau, pas vraiment mauvais non plus. Les népalais étaient confortablement installés dans leur salon à se demander s’ils allaient se sustenter turque ou coréen.
    Les résultats de la consultation penchaient vers l’Asie lorsqu’on frappa à la porte.
    « tintiiiiin ! » comme on entend dans les films à suspense…    
    Mais qui cela peut-il bien être ? Un voisin en manque de sel ? Un expatrié français qui ne veut pas d’un amiénois comme Ministre de la Recherche ? Un livreur de kimch’i qui marche à la télépathie ?
Que nenni ! C’était mesdemoiselles Stranovka et Bajcicakova fraîchement arrivées de Slovaquie.

slovak girls

Petite intermède.

La slovaquie est un petit pays d’Europe Centrale de 5,4 millions d’habitants (dont 85,8 % de slovaques, 9,7% de hongrois, 1,7% de Roms et 1,5% de gens qu’on rien a foutre là). Il a pour capital Bratislava, une charmante bourgade qui ressemble à Prague pour ceux qui ont déjà été à Prague et qui ressemble à Caen (si, si, regarde y’a un château) pour les normands un peu chauvins. Les slovaques sont accueillants, un peu racistes sur les bords et pas mal portés sur les alcools forts. Ils sont profondément pro-européens. Les filles ont tendance à y être jolies et les mecs baraqués, alors, non vraiment, vaut mieux fermer sa gueule. Nous n’avons aucune leçon à leur donner.

Fin de l’intermède.

(Dialogue n°1, traduction littérale)
-    Mais qu’est-ce que vous foutez là les filles ?
-    Vous êtes l’office ?
-    Ah non, nous c’est les népalais.
-    Et vous connaissez James ?
-    Oui c’est le copain de ma belle mère mais il est rentré chez lui à cette heure.
-    …
-    Pourquoi t’es toute pâle ?
-    Nous devons avoir l’appartement maintenant. Nous venons de la Slovaquie.
-    Mouais, mais là, vous êtes pas dans la merde les filles. Y’a plus personne.
-    Nous très fatiguées, nous vouloir maison.
-    Allez, vous êtes mignonnes, on va essayer de vous aider. Entrez.

    C’est Anne-Laure qui a commencé à prendre les choses en mains. Elle a tout de suite téléphoné au numéro indiqué sur la devanture du bureau de la résidence. La femme au bout du fil, par ailleurs fort aimable, était prête à faire venir un plombier, un serrurier, un flic ou un médecin mais ne pouvait absolument rien pour les petites demoiselles. Impossible de trouver un responsable avant demain matin 10h.

(Aparté entre les népalais)
-    Bon qu’est-ce qu’on fait ?
-    Ben, on ne va pas les laisser là.
-    Oui, il faut faire jouer la solidarité européenne !
-    Euh, attends. T’es sûr que c’est dans l’Europe la Slovaquie ?
-    Mais oui ! T’as pas lu le petit intermède de tout à l’heure ?
-    Si, si, pardon.
-    Bon alors, on les invite ?
-    Bien entendu !

    Et c’est ainsi que les népalais firent la connaissance pour la première fois de slovaques non doctorants. Pourquoi non doctorants ? Parce qu’ils avaient déjà eu l’occasion de rencontrer des gens de cette espèce à Utrecht, il y a deux ans mais ça c’est une autre histoire…

-    Nous avoir mails avec tchèque pour ici appartement.
-    Et vous venez faire quoi ici ?
-    Travailler golf Washington.
-    Vous avez quel âge ?
-    21.
-    23.
-    Hum, c’est courageux dites donc. Vous restez combien de temps ?
-    Trois mois.
-   Trois mois ! Mais ils ne vont pas vous louer un appart pour trois mois ici ! C’est six mois minimum. Et vous avez versé des arrhes ?
-    Non. Nous recevoir mails.
-    Et ben, vous n’êtes pas sortie de l’Holiday Inn !

Anne-Laure passa les 20 minutes suivantes à anéantir les derniers espoirs des deux jeunes filles.

-   D’une part, si vous n’avez pas envoyé d’argent, c’est même pas la peine d’espérer avoir un appart’ ici avant au moins une semaine, voire un mois. En plus, ils vont vous faire payer au minimum cinq loyers même si vous ne restez que jusqu’en août. 
-    Appartement fourni ici ?
-   Ah non, à part le frigo, la gazinière, le lave-vaisselle et cette horrible suspension au plafond, il n’y avait absolument rien lorsque nous sommes arrivés.
-    …
-    T’es encore plus pâle que toute à l’heure. Vous voulez boire quelque chose ?
-    Nous pas de chose : pas de lit, pas de cuisine, rien.
-   Bon. Il va falloir vous aider rapidement, sinon vous n’allez jamais vous en sortir. Vincent, tu m’imprimes toutes les petites annonces d’offres de roommates que tu pourras trouver dans la région. Moi, je vais sortir les cartes routières. On va leur trouver quelque chose à ces petites.

    Dans le Washington Post en ce début Juin, on peut trouver pas moins de 150 petites annonces d’offre de chambres dans le Maryland, en Virginie ou à D.C. Une fois toutes imprimées, il suffit de les éplucher consciencieusement et de faire chauffer le téléphone.

    Mais après une heure d’examen attentif des propositions et quelques coups de fils, les petites slovaques épuisées commençaient à défaillir. Elles étaient américaines que depuis quelques heures et déjà elles voulaient repartir chez papa et maman. Qu’il leur semblait loin leur goulasch natal ! Elles se retrouvaient totalement démunies, sans toit ni lit et à la merci des népalais – ce qui en passant, n’était pas le pire qu’il aurait pu leur arriver. Imaginez un instant qu’elles soient tombées sur des partisans du « non » à la constitution européenne ! Elles auraient fini, c’est sûr, par faire le trottoir à Glenwood ou pis, par bouffer des crab-cakes à la source au fond du Potomac.

    Le dernier coup de fil fut décisif et néanmoins laborieux. Le dialogue entre Mlle Stranovka et le possible futur colocataire ne manqua pas de piquant. Imaginez un peu une slovaque épuisée qui tente de marchander avec un sierra-leonais à l’accent à couper à la machette. Toujours est-il que le type était prêt à partager son appartement avec les deux jeunes filles (tu m’éltonnes, john !) et qu’il s’agissait de la seule option de la soirée.

    Se souvenant de leur première soirée ici et du réconfort qu’avait représenté la possibilité de dormir dans un lit à soit, les népalais proposèrent l’alternative suivante aux deux slaves aux yeux cernées :

-   Vous pouvez dormir ici cette nuit et continuer à chercher une chambre demain. On peut aussi rappeler le type de tout à l’heure, lui parler nous-même parce que non, vraiment, vous ça le fait pas ce soir et lui proposer d’aller voir la chambre tout de suite. C’est à Silver Spring, c’est une petite ville très sympa que nous connaissons un petit peu (les amis fidèles du blog se souviennent certainement que Rachel y habite). Nous comprenons parfaitement que vous ayez un peu peur d’y aller toutes seules.
Et le népalais de rajouter, en croyant être drôle :
-    Ne vous inquiétez pas les filles, je vous protégerai.

    C’est la deuxième solution qui fut choisie. Et cela tombait plutôt bien, le léon de la sierra parlait un peu français. Le coup de fil fut donc rapide et l’équipage rapidement en route. Dix minutes après, le petit dragon rouge se dirigeait sur Randolph avenue avec quatre passagers à son bord.

    18 305 Castle bvd à Silver Spring, ce n’est pas simple à trouver. Faut dire que si les américains sont en général plutôt malins et bien organisés, ils souffrent d’un mal chronique qui déstabilise plus d’un habitant du vieux continent. Leur système de numérotation des bâtiments est imbitable !

    Un bloc correspond à un pâté de maison et chaque bloc est repéré par un millier. Par exemple, les népalais habitent dans le bloc 13e bloc de Twinbrook Pkway, leur numéro d’habitation commence donc par 13 000. Si l’on emprunte cette rue dans le sens Est / West, on remarquera qu’à droite, tous les bâtiments ont des numéros impairs et l’inverse de l’autre côté. Mais là où ça se complique, c’est qu’il peut y avoir des rues à l’intérieur des blocs. En effet, vous vous souvenez certainement que les népalais n’habitent pas Twinbrook Pkway mais Crookston Lane. Les numéros des habitations de ces rues inter-blocs suivent donc l’ordre numéraire normal. Mais il existe quelques exceptions ! Du style, si le propriétaire de l’immeuble est né une année bissextile, on retranche au numéro la racine carrée de l’âge de son épouse – ou quelque chose comme ça. Bref, ce n’est jamais très simple. Et il aura bien fallu 20 minutes à notre fine équipe avant de frapper à la bonne porte.

    Mohamed l’africain est un type fort affable. Il mesure presque deux mètres et avoue volontiers être né dans le pire pays du monde.

Petite intermède.

La Sierre Leone est le trou du cul de la planète. La guerre civile qui s’y est déroulée de 1991 à 2002 aurait fait plus de 200 000 victimes, aurait déplacé plus de 2 millions de personnes et en aurait mutilé plus de 500 000. Les généraux du pays ont une prédilection pour les décapitations à la machette et les enfants soldats. Pour couronner le tout, le SIDA y tue environ 120 personnes par jour.

Fin de l’intermède, vous pouvez ranger vos mouchoirs.

L’appartement de Mohamed est spacieux. Situé au sein d’une résidence calme et arborée, il propose tout le confort nécessaire pour une vie états-unienne type : air conditionné, électroménager pour géants, lit itou et laundry à l’étage. Un grand salon richement décoré vous permettra de passer d’excellentes soirées TV entre amis. La proximité d’une station de bus place le métro à moins de dix minutes de la résidence. Et l’abondance de commerces de proximité fait de cet appartement le lieu de vie dont vous avez toujours rêvé.

Mais nos petites filles de l’Est ne l’entendaient pas de cette oreille. L’idée de partager leur quotidien avec un garçon à demi bodybuildé et noir de surcroît (sic), ne les ravissait pas plus que ça.

-    Les filles, si vous avez peur du noir, fallait pas venir à Washington.
-    Nous pas peur, nous pas vouloir perdre virginité avec noir.
-    Quoi ?
-    Ouais, nous un peu peur c’est vrai. Nous pas voir beaucoup noirs en Slovaquie. Et eux cannibales.
-    Tu serais pas un peu conne toi ?
-    Quoi ? Pas comprendre…
-   Laisse tomber. Allez, on vous comprend les filles. Vous êtes jeunes, fatiguées, un peu naïves sur les bords. On vous ramène à la maison.

Retour à la case départ.


Les demoiselles de Bratislava

    Une fois à la maison, les népalais cédèrent leur lit aux demoiselles pour pouvoir regarder l’Empire contre-attaquer tranquillement dans le salon. Après tout, il n’était pas si tard que ça.

    Le lendemain matin, les deux filles étaient au bout du rouleau. Accablées par le jet-lag, paniquées à devoir finalement retourner chez Mohamed le supplier de bien vouloir les accepter comme co-locataires, elles n’étaient pas belles à voir (fussent-elles tout à fait adorables dans leurs petites pyjamas roses). 

    Après un déjeuner sommaire, les népalais tentèrent de refiler les bébés à James, enfin de retour à son poste. C’est lui qu’elles étaient venues voir ! Le fait que James soit noir n’eut pas l’air de déranger les filles cette fois-ci. Faut dire qu’un noir en costume, ça fait toujours moins peur qu’un noir en maillot de basket. Et le bel ami de belle maman les emmena donc dans son bureau.

    Lorsqu’ils revinrent chez les népalais, Anne-Laure vibrait aux sons de la finale dame de Rolland Garros. Les deux slovaques semblaient aussi accablées que Marie Pierce (rappel : 6/1 6/1, 1h02 de match – une vraie branlée). La larme à l’œil, elles venaient d’expliquer à St James leurs mésaventures. Lui tout sourire remercia les népalais de leur accueil et leur générosité et conclut en leur faisant un clin d’œil, qu’effectivement, elles étaient dans la merde jusqu’au cou les deux tchétchènes. S’en lavant les mains comme de sa première chemise, il repartit bosser laissant là les deux cosaques éplorées.

    Après un thé revigorant, elles finirent par se résoudre à aller chez une vague connaissance downtown. C’est le népalais qui les accompagna jusqu’au métro. Bonne chance les filles et n’hésitez pas à nous joindre si vous êtes à la rue !

    Samedi soir, les népalais ont terminé la journée devant Fargo qui décidemment trône en bonne place au top-ten des films de leur vie.

-    Tu te souviens quand on l’a vu pour la première fois ?
-    Euh…
-    TU NE TE SOUVIENS PAS ?!
-    Si, si, bien sûr.
-   On n’était pas encore ensemble et avant la séance, je me suis tournée vers toi et je t’ai annoncé que j’allais quitter X pour toi.
-    Et qu’est-ce que j’ai répondu ?
-    Rien, le film a commencé.
-    Tiens, le film commence justement… tu m’aimes ?
-    Oui, je t’aime.

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Commentaires
B
... comme on fait bien la (fausse) gentille et le (faux) méchant !<br /> Dire que c'est grâce à lui si je peux faire la gentille (et m'abstenir de ces commentaires sur le bien pensant, la sierra léone ou la générosité ostentatoire et bien ciblée qui démangent le petit diable en moi)...<br /> et vive la mauvaise foi (chez mon autre) !<br /> <br /> Boubou
B
... ça me semble limpide, comme résumé de la situation par chez nous, mon amour. Comme quoi, le oui et le non ne nous auront pas séparés longtemps !<br /> <br /> Boubou (citoyenne du monde comme tu le sais, mais certains aimant nous traiter de chauvins, je me plais à les provoquer davantage)
L
Passer pour généreux parce qu'on en a les moyens, le faire savoir à tout le monde parce qu'on en a les moyens et occulter dans la note sur le Sierra-léone tout l'argent que les occidentaux y envoient-ainsi qu'au Nigéria et au Ghana- par l'intermédiaire des travailleuses sexuelles des portes du périphérique parisien... c'est du révisionnisme ou bien?<br /> Bravo les népalais. LOBO.<br /> Ps : tout ces sous-entendus sur l'Europe signifient-ils que vous les auriez virées si elles s'étaient avérées mexicaines ou puerto-ricaines?<br /> C'est drôle cette façon bien pensante d'aggrandir le groupe, un des points d'accord du oui et du non lors de la campagne française était que l'Europe servait à contrebalancer voire à affronter les méchants ricains, les affreux chinois et les horribles indiens. Aaaaahhh ça fait du bien d'être de mauvaise foi. Plus sérieusement, et dans le climat politique actuel, de saines conversations me feraient le plus grand bien. L'UMP et le PS sont au bord de l'implosion. Sarkozy pète les plombs et Fabius gagne des points, si ce n'était pas aussi inquiétant ce serait excitant, mais la force des appareils et l'apathie du tissu social auront raison une fois de plus. Rassurez-vous la constitution passera et tremblez la suituation française continuera de se dégrader, le plus terrible étant qu'évidemment ces deux faits n'auront aucun rapport... Tout cela est confus, mais je vous jure que la situtation actuelle est irrésumable, vous me manquez doucement. Je vous aime. LOBO.
B
... pour y vivre mon européanisme tranquille, loin de tous ces rabat-joie non-non ?? c'est si beau, quand vous le racontez, que j'en pleurerais presque, si je ne riais pas tant...<br /> au passage, j'en profite pour vous indiquer que non, il n'y a pas qu'aus states qu'on peut vivre toutes ces aventures formidables : prenez la numérotation par bloc, il vous suffit en fait d'aller à Hérouville (ah, cette merveilleuse commune socialiste idéale... enfin jusqu'au dernières municipales !). Et c'est ainsi que j'ai non seulement des amis qui vivent au 13 013 Crookston lane, Rockville, mais aussi d'autres qui vivent au 3 O8 Haute Folie, Hérouville-Saint-Clair (pour ceux qu'auraient pas suivi, Bloc 3, n°08)... et puis en noirs, ils sont tout ce qu'il y a de mieux fournis, malgré une légère préférence pour les reubeus...<br /> Enfin pour Bratislava c'est vrai : un tour dans le château de Guillaume et on s'y croirait !<br /> ah, qu'est-ce que c'est beau l'Europe , qu'est-ce que c'est beau la France, qu'est-ce que c'est beau la Normandie, qu'est-ce que c'est beau chez moi avec mes nouveaux meubles IKEA !<br /> <br /> Boubou
P
Pour cette jolie solidarité avec nos petites compatriotes (européennes) !
Washington d'ici
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