Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Washington d'ici
31 octobre 2005

L’homme de la campagne 2

Reprendre la main après Vincent tient du tour de force tant ce que j’ai lu m’a fait rire. Je conteste cependant avoir déliré autour de l’arbre ainsi que deux photos tendraient à le prouver. Les photos sont truquées et ne disent pas ce que j’ai dit alors. Je rectifie donc.

J’avais attrapé la veille un torticolis en regardant de trop près la statue de Lincoln, vu que ma femme contestait la validité du L et du A formés par les deux mains du héros de l’Amérique. Je me suis donc mis à sa place (enfin je n’ai pas déplacé les cent tonnes de marbre…) je me suis assis imaginairement dans son siège et j’ai conclu avec Montaigne que sur le plus haut trône du monde on n’est jamais assis que sur son cul, et que la main droite formait bien un L en langage des sourds et la main gauche un A. Abraham à ma gauche pour m’assurer du passé de père fondateur et Lincoln à droite pour désigner l’avenir. Le présent étant assuré par la présence du marbre blanc, plis du manteau tombant pour faire vrai, loi de la pesanteur oblige.

Mais je reviens à l’arbre et aux deux photos. Quand j’ai aperçu cet arbre dans la lumière déjà rasante du couchant, je me suis identifié à lui. L’homme de la campagne ne procède jamais autrement. Il vit dans l’Einfühlung. Dans « l’empathie » pour les ignares. J’étais cet arbre. Ben oui, quoi de plus normal, puisque je suis né baptisé ainsi. De plus, la branche s’incurvait à angle droit, donc j’ai pensé que cet arbre était à l’image de mon torticolis, car je ne pouvais quand même imaginer qu’il avait poussé là comme ça pour se foutre de moi. Je suis cinglé mais pas parano. Avec ses feuilles jaunes luisantes dans le couchant il me rappela brusquement mon chef grisonnant, et la folie aidant je me surpris à dire cette phrase immortelle qui résonnera longtemps dans les bois qui surplombent le Potomac : « Il est comme moi ; c’est un prunier sauvage ». Einfühlung vous dis-je.

Les chutes d’eau de great falls m’ont en effet amené à penser naïvement au temps et aux errements de l’existence, tant les filets d’eau contournent facilement les obstacles formés par les rochers avec une force et une habileté diabolique. Les cascades donnent à la vie en mouvement une dynamique féroce irrésistible. Ma folie bien tempérée s’est accrue de cette crue dynamique qui force partout le passage. (On dirait un cours de morale pour les enfants que nous sommes). J’ai ressenti une immense gratitude pour ma fille et son époux qui avaient bien voulu conduire l’homme de la campagne dans ce lieu grandiose, avec leur rouge véhicule souple.

Le lendemain à Baltimore, ville natale d’Edgar Poe et où il se repose d’avoir écrit des horreurs superbes (comme a bien voulu me rappeler ma chère fille), j’ai découvert une vraie ville américaine. Il est temps ici de dire que le fou est celui qui ne cesse d’ouvrir grand ses yeux à tout ce qui passe, à 360°, n’être rien pour être tout. Ainsi vais-je faire un éloge de la folie comme seul moyen de vivre totalement. Ne jamais fermer les yeux, ce sera pour ce soir, non, bien voir les reflets de l’eau dans les hauts buildings, puis le jeu de retour des buildings dans l’eau, et tout le monde qui s’en fout totalement, affairé à se promener oisivement alors que je braque mes mirettes dans tous les horizons, pensant que je n’ai que ce jour pour voir cette merveille d’activité sauvage et juste et bonne.

J’ai estimé alors qu’il était temps de comparer, sans critiquer, critiquer, ce premier mouvement dont il faut résolument s’abstenir si on veut être fou, je veux dire si on veut tout voir. Washington, pour l’avoir parcouru à pied, est un bel exemple d’abstraction idéaliste de l’Amérique. Le droit (A et L), fait face au Capitole dans le fond où d’autres lois se font et se défont, tandis que l’ensemble est bordé de culture muséale pour dire que l’on est engagé dans le temps ( sous le couchant, sorte de memento mori très mordoré). J’ai vu en outre à Washington à la sortie du FBI, une cohorte de fonctionnaires sortir tous avec leurs badges (j’avoue que j’ai guetté à 5 heures leur sortie pour les capter dans ma cervelle), et je me suis aperçu tout soudain que la capitale n’était composée que de gens qui portaient un badge, comme s’il fallait contrer l’anonymat de la foule par le port de ce qui vous distingue. Du coup, avec ma veste sans nom j’avais l’air d’un con, ma mère, avec mon pantalon j’avais l’air d’un con.

A Baltimore, rien de tout ça. Immergé dans la foule comme les bateaux dans l’eau très bleue, le peuple surnourri de crabe avance tranquillement plutôt fier de n’être qu’un qui marche (souvent de travers, comme le crabe, mais c’est à cause de l’alcool). Les superbes immeubles aux teintes les plus miroitantes sont leur fierté, leur identité. La folie, le regard virevoltant, est donc ici indispensable pour voir tout et tout de suite. Surtout ne pas barguigner, ne pas faire la fine bouche devant tant de grandeur. Le prunier sauvage ne faisait pas autrement la veille lorsqu’il se sentit aspiré par les noires profondeurs des eaux en furie, ou face à l‘arbre courbe qu’il vit à son image. Là c’est le ciel qui nous tire, tandis que les vagues du fleuve nous aspirent. Ne surtout pas résister à ces deux mouvements contradictoires. Nous sommes cet entre-deux. C’est cela être un homme. Ne jamais dire non (t’as vu la morale, le mec).

En bref, Baltimore est la réalité dont Washington esquisse les principes. En axonnais courant ça donne à peu près : « Baltimore est à Washington ce que St Quentin est à Laon ».

La prochaine fois (mais je compte sur Lobo pour contester cet éloge de la folie), j’évoquerai la troublante révélation de l’abbé Pierre. Y’a du boulot, mais je promets qu’à l’inverse de cette rêverie on rigolera un peu.

b_ray1

bray2

bray3

Publicité
Commentaires
Washington d'ici
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité